Le développement de la locomotive est évidemment lié à celui du moteur Diesel, d'une part, et àl'évolution des systèmes de transmission de la puissance aux essieux, d'autre part ; ce sont essentiellement les progrès réalisés dans ces deux domaines qui conditionnent ceux de la locomotive ; l'histoire de la traction Diesel est celle des perfectionnements apportés à ces organes essentiels, pour réduire leur poids sans nuire à leur longévité, tout en améliorant, pour une puissance donnée du moteur, les efforts disponibles à la jante sur une gamme de vitesse de la locomotive aussi étendue que possible.
Bien que la création du moteur Diesel remonte à la fin du dix-neuvième siècle, c'est seulement au cours des années 1940 que les locomotives Diesel se sont largement développées dans le monde entier.
Rappel des essais les plus caractéristiques qui ont marqué la période antérieure à 1940.
De nombreuses tentatives ont été faites au cours de cette période pour adapter le moteur Diesel à la traction ferroviaire, et beaucoup de prototypes ont vu le jour sans qu'il ait été possible de dépasser le stade des essais ; malgré tout l'intérêt que présentent certains d'entre eux, nous nous bornerons à énumérer les réalisations les plus marquantes :
Les essais réalisés entre 1912 et 1928
- En 1912, essais d'une locomotive Borsig/Sulzer par les Chemins de fer prussiens (fig. 1) Locomotive 2-B-2 de 95 t, à transmission directe, avec moteur à 2 temps de 1000 CV ; démarrage à l'air comprimé.
- En 1923, réalisation, pour les Chemins de fer russes, de la première locomotive Diesel électrique du Professeur Lomonossof, du type 1-E-l, équipée avec un moteur marin MAN de 1200 CV tournant à 400/450 tr/min ; poids 125 t, vitesse maximum 50 km/h. Elle fut suivie, en 1926, d'une locomotive analogue à transmission mécanique.
- En 1928, essais, par les Chemins de fer allemands, d'une locomotive 2-C-2 de 128 t, vitesse maximum 80 km/h, équipée avec le même moteur Diesel que les précédentes machines mais dotée d'une transmission pneumatique.
- En 1928, mise en service par les Canadian National Railways d'une locomotive Diesel électrique de 2660 CV, constituée par 2 unités du type 2-D-l ; vitesse maximum 105 km/h, poids 294 t, moteurs Diesel Beardmore-Westinghouse tournant à 800 tr/min.
1932-1940 : une période qui relève des progrès
- De 1933 à 1940, essais par les Chemins de fer allemands d'une locomotive Deutz, type 2-B-2, de 1000 CV environ, avec transmission directe ; vitesse maximum 110 km/h, poids 87 t.
- Au cours des années 1932 à 1940, les progrès du moteur Diesel vont s'accentuer. C'est, d'abord, l'apparition des moteurs Diesel rapides légers tournant à 1400/1500 tr/min, encore insuffisamment puissants pour équiper des locomotives, mais qui laissent déjà entrevoir des possibilités nouvelles, dont la technique profitera aux moteurs plus lents. Dans cette dernière catégorie, les constructeurs travaillent à l'allégement et réalisent des moteurs spécialement conçus pour la traction sur voies ferrées : dimensions générales adaptées au gabarit des locomotives, vitesses de rotation accrues, généralisation de l'injection mécanique, groupes électrogènes plus compacts, etc... Enfin, la suralimentation des moteurs à 4 temps se développe et va procurer une augmentation importante de la puissance massique.
- En 1932, les Chemins de fer danois mettent en service 2 locomotives Diesel électriques 2-D-2 (103 t, 100 km/h) équipées avec 2 moteurs Frichs de 450/500 CV, et dotées d'une chaudière de chauffage. Ces 2 machines sont encore en service.
- En 1933, essais, par divers réseaux français, de locomotives Diesel électriques de 500 à 750 CV.
- A la même époque, les Chemins de fer argentins, qui avaient antérieurement expérimenté des « centrales roulantes » alimentant des moteurs de traction disposés sous les voitures remorquées, mirent en service une locomotive Diesel électrique de 1700 CV en 2 unités (2 moteurs Sulzer de 850 CV, à 550 tr/min, vitesse maximum 112 km/h, poids 145 t).
- En 1935, mise en service, par les Chemins de fer allemands, d'une locomotive 1-C-l de 1200 CV, équipée avec un moteur MAN suralimenté et une transmission hydraulique Voith. Vitesse maximum 100 km/h, poids 75 t.
- Au début de 1938, le réseau PLM met en service, sur Paris-Lyon, 2 locomotives Diesel électriques prototypes de 4000 CV, constituées chacune par 2 unités 2-C-2 (moteurs Sulzer et MAN suralimentés tournant à 700 tr/min environ, vitesse maximum 130 km/h, poids 226 t). Une locomotive analogue aux précédentes était livrée l'année suivante par Sulzer aux Chemins de fer roumains.
- Aux Etats-Unis, le Chicago-Burlington met en service, en 1934, la rame articulée triple « Zéphyr » de 660 CV, qui fut l'amorce de la grande traction Diesel dans ce pays. L'année suivante, le célèbre train transcontinental « Super-Chief », du Santa Fe, était remorqué de bout en bout, sur les 3600 km séparant Chicago de Los Angeles, par une locomotive Diesel de 3600 CV en deux unités. A partir de ce moment les locomotives de ligne, pour trains de voyageurs, se développent rapidement aux U. S. A., concurremment avec les locomotives de man?uvres.
Telle fut, très rapidement esquissée, l'évolution de la traction Diesel jusqu'en 1939. On peut dire que, jusqu'à cette date, les Chemins de fer se sont bornés, sauf peut-être aux Etats- Unis, à expérimenter le nouveau mode de traction, sans se lancer dans des applications systématiques et étendues.
Néanmoins, en ce qui concerne les services de man?uvres, les avantages de la traction Diesel étaient bien connus, et, dans de nombreux cas, des programmes d'extension étaient élaborés. Cependant, les difficultés techniques de réalisation de locomotives Diesel puissantes laissaient encore quelques doutes sur l'intérêt économique de leur application aux services de ligne.
source : Extrait de l'article L'EVOLUTION DE LA LOCOMOTIVE DIESEL par Ch. TOURNEUR, Ingénieur en Chef à la S. N. C. F. apparu dans la Revue Universelle de Mines juillet 55